J’ai de temps en temps l’occasion de fréquenter des « nécrovinophiles », mot inventé par moi pour définir cet amour particulier et bizarre qu’ont certains amateurs pour des vins à l’apogée dépassée et qui, morts depuis quelques temps, n’ont de vivant que le cercueil de la bouteille en verre, et le bouchon en liège, à bout de souffle, qui n’en peut plus d’attendre sa mise à mort !
Autant je peux comprendre l’intérêt historique, culturel – autant j’ai du mal à croire que l’on puisse avoir du plaisir à boire ou même à goûter à ces cadavres.
En effet, combien de bouteilles de vin gardées trop longtemps finissent - mal - dans l’évier ? Car même le vinaigrier n’y trouve pas son compte.
Combien de ces vieux vins gardés dont l’unique intérêt est d’être là pour remplir une « jolie cave » ou pour frimer ?
Ne sont pas Cheval Blanc 47 ou Mouton 45 qui veut parmi tous les 47 ou 45, et s’il y a des exceptions à tout règle, j’ai bien peur que ces amateurs de vins trop vieux n’aient oublié que l’exception c’est justement d’être exceptionnel !
Vous me direz, et c’est la seule excuse, tant qu’on a pas goûté, tant qu’on a pas ouvert, on ne sait pas ! Il y a parfois des miracles : je me rappelle, c’est vrai, cette bouteille de Lescours 1937 bue à plus de 50 ans d’âge, qui était extraordinaire.
Sans doute les liquoreux tiennent-ils mieux la route du temps. Et je ne conteste pas qu’il y ait de grandes surprises, ce qui m’inquiète, c’est seulement ceux qui n’éprouvent du plaisir qu’à boire ces vins trop vieux et qui, même quand ces derniers sont sérieusement morts, leur trouvent de l’intérêt. Tous les goûts sont la nature… comme les coups et les douleurs pour les masochistes !
Pour faire simple le vin a une naissance, une apogée et une mort, c’est ainsi et c’est pour ça qu’il nous parle tant : similitude avec notre vie humaine, sans doute.
J’admets facilement que l’on offre une bouteille de l’année de naissance, bouteille anniversaire, cadeaux pour signifier que l’on aime cette personne. J’ai moi aussi dans ma cave quelques bouteilles de 1955 pour Murielle, quelques bouteilles de 1951 pour moi et d’autres vieux millésimes que je préfère d’ailleurs souvent offrir qu’ouvrir. J’ai moi aussi eu des chocs à boire des bouteilles improbables, le seul aspect que je critique, je le répète, c’est ceux qui trouvent toutes les qualités à ces vins qui sont de toute évidence finis, morts !
Bien entendu, ceux qui font commerce de ces antiquités ne sont pas à blâmer s’ils font bien leur travail. Après tout, ils ne sont que des commerçants qui répondent à une clientèle en offrant ces vins aux apogées largement dépassées à une clientèle bien présente. Leur rareté et les prix atteints permettent de bien vivre de ces cadavres.
Il faut de tout pour faire un monde : des maternités et des cimetières.
Je dois avouer que cet article était déjà écrit depuis quelque temps. J’ai évoqué ce sujet avec des amis, certains proches de cette addiction, mais c’est seulement à la suite de la parution d’un article dans le dernier ou avant dernier numéro de la RVF, consacré à un collectionneur célèbre qui me cite avec fiel, que j’ai eu envie de poster ce billet sur mon blog aujourd’hui
